Le coup d’Etat du 5 septembre 2021 en Guinée rappelle que la menace du putsch persiste en Afrique de l’Ouest – quelques mois seulement après celui du colonel malien Assimi Goïta – malgré le processus de démocratisation enclenché depuis les années 90. Le putsch, un mal qui sévit depuis les indépendances, reste d’actualité en Afrique de l’Ouest – Le Mali plus récemment, la Gambie, la Guinée-Bissau, le Nigéria, … – où plus de 27 coups de force ou tentatives de coups de force ont été perpétrés depuis 1990, contre 16 sur le reste du continent, de l’Algérie à Madagascar en passant par le Tchad, la Centrafrique, les deux Congo, le Soudan et le Burundi.
Le putsch mené contre le président guinéen Alpha Condé, dimanche 5 septembre, par le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya, chef du Groupement des forces spéciales (GFS), est le quatrième coup d’État en un an en Afrique de l’Ouest et centrale et un coup fatal porté à la démocratisation de notre pays la Guinée.
La proclamation d’un Comité national du rassemblement et du développement en Guinée fait basculer le pays vers un gouvernement militaire et un lendemain incertain n’en déplaise aux agitateurs et autre troubadours actuels. Au même titre que le Mali et le Tchad, où les présidents actuels sont des putschistes issus des forces spéciales – le colonel Assimi Goïta à Bamako, le général Mahamat Idriss Déby à N’Djamena – et où les Constitutions sont mises entre parenthèses au profit de chartes de transition. La démocratie civile se banalise ainsi au vu et au su de tout le monde.
Un coup d’Etat sans raisons apparentes ?
Personne n’a vu venir ce coup de force du colonel Mamady Doumbouya, même s’il semble plébiscité par une classe politique qui manque totalement de repères. Ce corps militaire auquel appartient le colonel – les forces spéciales – dernier né des unités d’élites de l’armée guinéenne, une volonté du président Alpha Condé afin de prévenir et de combattre le terrorisme qui est aux portes de notre pays. Il est l’unité la plus dotée en matériels, il dispose d’une formation de qualité et jouit globalement d’une certaine autonomie.
Alors quand le colonel et ses amis putschistes se gargarisent de la situation socio-économique et politique pour justifier leur coup de force, c’est une chimère ou du populisme tout au moins pour bénéficier de l’adhésion populaire afin que l’anormal devienne la norme. Nul n’ignore les conséquences dévastatrices de la pandémie de Covid-19 sur l’économie mondiale, d’ailleurs les économies les plus solides sont celles qui en souffrent le plus des conséquences d’une crise mondiale qui a été imprévisible. On peut même affirmer que la Guinée a été l’un des pays au monde qui a su gérer au mieux ou limiter les conséquences de la pandémie sur sa population : entre baisses ou suppressions de certaines charges à l’importation et sur les entreprises afin de supporter le choc économique provoqué, la gratuité des transports publics et de l’électricité, l’eau pendant plus d’une année. La Guinée est le seul pays qui avait pris une telle mesure. Est-ce que ces mesures ont-elles été suffisantes ? pas sûr puisque quand la pandémie régressait, elle revenait encore de plus belle par l’apparition de nouveaux variants qui résistent fortement aux vaccins. Ainsi, la production mondiale a chuté et le commerce mondial impacté. Les pays exportateurs de matières premières comme le nôtre, ont vu leur circuit économique complètement affecté.
Que dire du climat politique ?
La Guinée sort certes d’un processus électoral qui a engendré une crise politique majeure à la suite de la réélection pour un 3e mandat du président Condé. Cependant, ces dernières semaines les autorités avaient pris l’initiative d’aller vers l’apaisement politique en procédant à l’accélération des procédures judiciaires et le président de la République de procéder à des grâces présidentielles. Nul doute que cette démarche allait s’amplifier et s’élargir à l’occasion de la fête nationale du 02 Octobre comme le président Condé en avait pris l’habitude de profiter de l’occasion pour procéder à des mesures de clémence.
Quid alors de la raison réelle de ce coup de force de celui qui était le chouchou du président déchu ?
Le problème est que le Président de la République s’est trop concentré sur les capacités opérationnelles des forces spéciales, sans lui donner une doctrine claire. Pour éviter les débordements comme ce qui est finalement arrivé le 05 septembre, il aura fallu déterminer dans les faits et non les textes qui régissent les forces spéciales, le pourquoi de sa création. Les forces spéciales étaient un sujet hautement sensible et tabou que le président se refusait d’aborder publiquement. D’ailleurs personne en Guinée n’était au courant de leur existence sauf quand le monde a été émerveillé du défilé qu’ils ont livré à l’occasion de la fête nationale du 02 octobre de 2018 à leur tête le colosse Mamady Doumbouya. Ce même Doumbouya idolâtré aujourd’hui a été dépeint à l’époque comme le chef d’une milice au sein de l’armée au service du dictateur Alpha pour mater toutes les contestations. Mais ça, c’est une autre histoire.
Il faut dire que depuis le mois de mai dernier, les rumeurs d’une velléité trop indépendantiste des forces spéciales du reste du commandement militaire avaient provoqué le courroux des autorités du ministère de la défense. Le ministre Diané avait vrai semblablement pris l’initiative de convaincre le président d’une dissolution des forces spéciales et de l’affectation de ses membres dans les autres corps d’élites de l’armée. Le président s’était refusé de s’exécuter accordant une confiance totale au colonel Doumbouya qu’il appelle affectueusement « mon fils » et dans la raison d’être de son unité. Finalement, sa chute est venue de là où il n’aurait pensé même dans ses pires imaginations.
Quel après coup d’Etat ?
À quoi ça sert d’avoir des Constitutions, la Cédéao et la diplomatie internationale, si à la fin tout est permis ? le régime d’alpha Condé n’était pas parfait, le dire d’ailleurs est un euphémisme mais un coup d’Etat reste une interruption brutale du processus démocratique. C’est une régression notable pour un pays : les partenaires internationaux vont se méfier et les financements internationaux se rarifiés. Pendant ce temps, c’est le pays qui va s’arrêter de fonctionner sur le plan du développement. Espérons que ce ne soit pas le cas pour notre pays. Et surtout que les grands projets initiés par le régime dissout continuent notamment les chantiers routiers dans le cadre de l’accord-cadre avec la Chine, le projet Simandou et la construction du transguinéen entre autres, et le projet d’aménagement du centre Alpha Condé de Koloma qui abritera le futur siège du gouvernement et des institutions de la république.
Le scénario putschiste en Guinée pourrait donner le courage à d’autres militaires de la sous-région ouest-africaine de lui emboîter le pas. La tentation est désormais bien réelle et bien trop grande.
Il est désormais de la responsabilité du colonel Doumbouya de faire en sorte que la transition aboutisse à un retour rapide à l’ordre constitutionnel normal et que celle-ci soit inclusive.
Alexandre Naïny BERETE, juriste analyste politique
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Last modified: 28 septembre 2021