
Lors de l’accueil des migrants guinéens de retour de Tunisie, notre très inspiré ministre des Affaires Étrangères, Morisanda Kouyaté, a offert au pays un chef-d’œuvre de compliment appuyé.
Face à des compatriotes exténués par l’exil et l’incertitude, le ministre a su trouver les mots… ou presque : ‘‘La priorité du chef de l’État, ce n’est pas la route, sa priorité ce n’est pas le courant. Sa priorité, c’est vous, les Guinéens. C’est à vous qu’il donne le courant, c’est à vous qu’il donne la route, c’est à vous qu’il donne l’eau. Il ne se trompe pas.’’
Du coup, on a découvert que chez nous, quand on construit une route, ce n’est pas pour les vaches, ni pour les grenouilles de Matam, mais bel et bien pour les Guinéens ! De même, quand on fait des caniveaux chez les Gbaka ou qu’on y creuse un puits, ce n’est pas par amour du béton ou de l’eau courante, mais -tenez-vous bien- pour les chers citoyens.
Une révélation bouleversante, tant il est vrai qu’on aurait pu croire, naïvement, que l’eau, l’électricité et les infrastructures étaient des droits élémentaires, et non des dons exceptionnels du pouvoir éclairé. Heureusement, grâce au ministre, le mystère est levé : oui, quand l’État fait son travail, c’est pour le peuple. Et il mérite bien qu’on l’applaudisse pour cet effort presque héroïque de ne pas construire des routes uniquement pour les voitures officielles.
Par ailleurs, notre ministre très créatif, n’en est pas resté là. En véritable prêtre de la doctrine présidentielle, il a entrepris d’éclairer les Guinéens sur l’énigmatique Simandou 2040.
‘‘Vous avez trouvé ici Simandou 2040, ce n’est pas Simandou vingt-quarante’’, a-t-il précisé.
Merci pour cette précision essentielle. Car, contrairement à ce que croient ces âmes perdues qui osent prononcer ‘‘vingt-quarante’’, Simandou 2040 n’est pas un chiffre, c’est une vision, un horizon, presque une révélation céleste -bien qu’on soupçonne que même les anges, dans leur sagesse, n’y comprennent plus grand-chose.
En insistant lourdement sur cette nuance cosmique, notre ministre apporte sa contribution à la défense du sanctuaire sacré de la rhétorique officielle : ‘‘Simandou 2040’’, c’est du sérieux, c’est de la matière noble ; ‘‘Simandou vingt-quarante’’, c’est de l’ignorance, c’est du populisme comptable.
À ce rythme, on ne serait guère surpris de voir, lors d’un conseil des ministres, une motion solennelle visant à criminaliser la prononciation fautive de ‘‘vingt-quarante’’ sous peine d’accusation d’atteinte à la sûreté de la Transition.
En Guinée, l’absurde n’est jamais une fin en soi : c’est une méthode de gouvernement.
Ibrahima S. Traoré pour guinee7.com
Last modified: 21 avril 2025